Du 4 au 8 février 2013
CERCES avec deux C comme Chèvres,
ou comme Chiara (prononcez kiara avec l’accent sur le kia) : elle est l’amphitryon du refuge des Re Magi dans la Vallée Etroite. Il faut bien que je cite dans cette relation de randonnée, l’un des habitants de ce massif qui nous ont ouvert leur porte lorsque fourbus de fatigue, transis par les rafales de neige et le regard perdu à force d’essayer de percer le brouillard, nous nous sommes présentés devant leur havre chaud et sec. Mais Nico le gardien du refuge du Chardonnet et Riton, le taulier de celui de Laval, loin pourtant d’être des ours solitaires et ombrageux, ont trop la tête de l’emploi pour que nous, ou du moins la majorité mâle de notre petit troupeau, ne lui préfère la belle italienne, malgré son gite/refuge mal foutu.
4 février : après une traversée matinale de Grenoble qui n’en finit plus et une montée au Lautaret sous la neige derrière une saleuse, nous abandonnons enfin la civilisation motorisée au Pont de l’Alpe. Montée au col des Aiguillettes et celui du Chardonnet, 900m plus haut. Sur l’arête tôlée, les bâtons (nos 2 pattes avant) servent d’arcs boutants pour tenir debout dans les rafales. Descente dans une poudreuse à peine croutée alternant avec des plaques vitrifiées. Arrivée avec un rayon de soleil providentiel à la bergerie du Chardonnet. Plus question de passer le lendemain, comme prévu, par la combe de Casse Blanche, jugée trop dangereuse. Nous rejoignons l’enclos de Laval par le chemin des écoliers, avant de faire, dans le vent persistant, un beau tour des rochers de Moutouse, 700m plus haut, au dessous de la pyramide blanche de la pointe des Cerces.

Le soir, un débat sur les classes moyennes et le mariage pour tous les animaux prend l’eau et fait naufrage dans la soupe aux choux. Si Nico m’avait dit qu’il vous avait fait un rôti de porc hier soir, j’aurais fait autre chose se plaint Riton en apportant le même. Et de nous offrir un digestif à l’hysope pour se consoler de cette contrariété. Le lendemain, départ par – 13°. Le vent a soufflé toute la nuit et le brouillard chasse le paysage comme, même chez les ovidés, l’effort de la marche, la pensée. Montée dans la neige fraiche au col de la Muande, 800m plus haut, dans les rafales. Delphine et Jean Luc, nos bergers, conduisent leur petit troupeau (5 têtes), sans coup férir, au poteau indicateur du lac de la Muande, perdu dans l’immensité d’une ouate blanche puis à celui du col.
Vu les dictats du Dieu du temps et de la neige, plus question d’honorer de la visite prévue le Thabor, seigneur du lieu. Longue descente aveugle en poussant souvent sur les bâtons vers la Vallée Etroite, terre italienne devenue hexagonale. A mesure que cette pérégrination dans un univers blanc et de peu de repères nous fatigue et nous ôte tout espoir de paysages sous un soleil éclatant à la Samivel, les douceurs de la halte vespérale s’imaginent plus fortes. Le dîner aux Re Magi, les rois mages, troisième bergerie visitée, est à la hauteur de la réputation, outremonts, de son hôtesse souriante et bilingue qui semblerait aussi bien à sa place dans un cinq étoiles de Milan. Au guide Michelin des râteliers de montagne, avec cinq antipasti (hors d’œuvre) au moins, avant la polenta et des saucisses au vin, fromage, Tiramisu, vin bouché, café et grappa, elle surclasse Nico et Riton. Après le petit déjeuner dédaigné par le cabri végétarien de service qui se fait resservir la polenta de la veille, nous repartons dans le brouillard et le vent qui a soufflé la neige toute la nuit.

Encore une journée, avec froid aux pattes, passe montagne et masque sur le museau, goretex remontée jusqu’au cou et capuche, buée sur les lunettes, etc. Montée dans la fraiche vers l’ancienne mine, les chèvres devant, les vieux moutons derrière, as usual. Contournant la Tête du Chien, nous enfilons dans les bourrasques de neige le long vallon qui va au col éponyme, tondu par le vent de sa laine blanche. La pointe des Cerces sera pour une autre fois. Redescente vers la vallée de la Clarée. Les brèves montées qui l’entrecoupent sont comme les chardons dans une délicieuse botte de foin. La remontée sur la route transformée en piste de fond vers le refuge de Laval, où quelques désactivés bataves s’exercent, raquettes aux pieds, à marcher come des plantigrades polaires, n’en finit plus (9 km). Dernière étape par ciel bleu et rochers enfin rouges au soleil. Le vent a faibli mais froid de loup : -15° au départ. Nous devons rejoindre les voitures par le lac des Cerces et le col de la Ponsonnière. La prudence de nos bergers nous fait rebrousser chemin au col des Cerces. Retour à Névache après 1400m de dénivelé et 30km de parcours. Halte sympathique dans le cadre sans âge d’une brasserie artisanale du village, où le troupeau bêle du plaisir partagé de cette transhumance hivernale, dans l’attente de la bétaillère qui nous ramènera à la nuit aux voitures. 22 heures à Lyon. – 20° prévus ce soir dans la vallée de la Clarée. J’en frissonne encore !
Le CAFteur de service Allen LEDER